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Vendredi soir sur la promenade...

mercredi 1er février 2012 , par Antoine Boyer

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Surreal McCoy - Seagulls

Le flegme, c’est vraiment un truc so british. On savait les gardes royaux entraînés à garder leur « stiff upper lip » même en cas de chatouillis ou de déclaration d’amour ; les deux hussards de latex de Surreal McCoy resteront ainsi mouettes jusqu’au bout de leur rôle.
« Alors comme ça, vous êtes, genre, des mouettes ? »
« Kwaaak »
« Ca gagne bien ? »
« Kwek »
« Ah non, ça c’est mon appareil photo »

Intrigant les bébés, barrant le passage sans avoir l’air d’y toucher aux affamés qui essayaient de rejoindre le Codfather en quête de victuailles, plongeant leur bec dans les sacs à main... voilà une vraie interaction qui fonctionne et renvoie la relation performer / spectateur aux oubliettes. Les deux pirates de l’air ont donné le ton dès 18h en préfigurant de façon pour le moins relevée le plat de résistance d’une soirée riche en évènements. « Bec inutile, oiseau aptère, je glisse au long de ton visage transparent » aurait dit Senghor en la circonstance - avant de repartir couvert de guano et sans sa montre.

Wet Picnic - Time for tea

Non, en fait, ce qui est vraiment so british, c’est d’inventer autant de disciplines inutiles dans le domaine du savoir-vivre, de passer par les armes quiconque y déroge même en cas d’ouragan ou d’invasion de tigres du Bengale... et de pouvoir s’en moquer avec autant de brio. Preuve faite avec ce cours magistral donné par la compagnie Wet Picnic, sabotage en règle d’une cérémonie du thé qui est pourtant la colonne vertébrale d’un Empire. Trois Mary Poppins index en l’air. Jupons de soubrette, sourire Ultra Brite et regard ferme (mais bienveillant) de la Femme d’Intérieur qui sait où elle va : voilà le terrible arsenal de ce commando 100 % Earl Grey. Lançant à la foule médusée des sachets de thés comme on dispenserait l’hostie à Rome, les voilà prêtes à narrer entre deux chorégraphies très « revue des armées » l’histoire de leur aïeul, qui a su redonner à l’Angleterre l’amour de cet autre breuvage rouquin, remède absolu contre « les seins tombants de vos femmes, vos boulots de merde, vos enfants moches ». Un jet d’acide tout en ironie tendre, un final pour le moins... éjaculatoire, et une dégustation de thé sur tablettes de maître d’hôtel ont conquis un public plus que ravi d’être ainsi choyé.

Titan - The Next Generation

Le problème des monstres, c’est qu’ils sont bien souvent plus humains que les humains. Titan le robot pourrait à sa façon être le point de convergence post-moderne de l’humanité projetée qui sommeille en la créature de Frankenstein, Terminator, Dracula ou peut-être même Chuck Norris. Ce qui touche chez ce duo chair et fer, au-delà de la prouesse technique évidente que représente la manipulation d’un golem de ferraille, de pistons et de câbles mesurant environ trois mètres au garrot, ce sont les goûts pour le moins arrêtés en matière de cinéma et de musique de l’humanoïde. « Banni dans 65 communautés internationales, déclaré nuisance publique dans 23 villes britanniques... », Titan n’aime rien d’autre que crooner Sinatra, Louis Armstrong ou balancer des répliques de blockbusters d’Hollywood selon les réactions du public. De l’humanité, le monstre a retenu essentiellement le divertissement : message ? En tout cas cette déambulation, tour de force de synchronisation et d’interactivité signé « The Next Generation », a emmené petits et grands toujours plus nombreux sur le chemin d’une nouvelle ère de la ventriloquie 2.0

Entre Terre et Ciel - Balade de feu

Intermède tout feu tout flamme qui annonce le final de la soirée, cette balade menée par Lara Castiglioni tient de la procession plus que de la déambulation. Peu importe où on va, tant qu’on a chaud et que nos pieds suivent le rythme des torches qui tournoient, montent et descendent. On aurait suivi le cortège jusqu’à l’épuisement sans s’en rendre compte... mais le plus beau restait à venir ! L’étincelant hors-d’oeuvre a ainsi marqué l’arrivée bienvenue des flammes dans une nuit d’hiver qui en avait bien besoin.

Thor McIntyre - Boiling Point

Car du feu, il en sera encore question. Chapitre supplémentaire dans ce suivi de propositions placées en extérieur, l’installation de l’artiste multimédia Thor McIntyre utilise aussi les flammes. De façon moins instinctive, puisqu’elles sont partie intégrante d’un véritable processus de rapport historique. Ici plus question de fascination, mais plutôt de création d’un lien entre les hommes et les époques... par la parole. Une galerie de haut-parleurs lumineux balançant sans relâche des traductions de « tweets » lancés par des témoins directs du Printemps Egyptien, des jets de vapeur, des foyers... En écho à l’atmosphère de l’Atelier 231 (aux locomotives qu’on y montait) comme en écho à l’actualité, le dispositif se veut rétro-moderne, mais surtout pas a-temporel. Le pont est jeté entre Belle Epoque et réseau virtuel mondial. L’installation questionne le rôle de la technologie et la perception de l’univers qui en découle. Internet rapproche-t-il les Hommes de la même façon que le chemin de fer ? Chacun a pu trouver sa propre réponse en s’installant en dessous, autour de poêles à charbon fumants, pour déguster un verre d’eau chaude sucrée à la menthe -un peu comme en Egypte ou en Angleterre, allez savoir.

Paka - Rusty The Horse

Voici un moment qui lui aussi se ménage une atmosphère plutôt steampunk -ce genre de fiction rétro-futuriste qui prend les romans de Jules Verne pour la parole indétrônable d’un Evangile. Mais ici, c’est plutôt chez Cervantès que l’inspiration prend sa source. Le tableau : un fou errant, échappé d’un épisode coupé de Mad Max, arrive dans un festival des arts de la rue. Il s’arrête pour faire profiter à la foule du caractère plutôt facétieux de son Rossinante mécanique. La bête hennit, se cabre, veut tâter du public. Paka -c’est le nom de ce performer mi-clown mi-Quichotte post-apocalyptique- le rabroue, puis le flatte... avant de l’enfourcher et de se livrer à un vrai festival pyrotechnique ! Revoilà le feu, coeur caché mais bien battant de la soirée. Il jaillit de partout : des naseaux de la monture (manipulée à distance par un très discret comparse qu’on vous laissera le soin de débusquer la prochaine fois que vous verrez Rusty), des mains mêmes de son fantasque cavalier... puis la magie opère et voilà les deux inséparables messagers d’une fin des temps où les clowns seraient des prophètes, partis pour un aller-retour sur la Promenade des Anglais. Si le dernier des messies ressemble vraiment à Tom Waits juché sur un lance-flammes au galop, prions pour que 2012 sonne vraiment la fin du monde !

The Wrong Size - Lightwalkers

Parfois, ce qu’il faut, c’est un grain de magie. En toute simplicité. Une touche de féérie pour que tout revienne à sa place. C’est ce que dispensent autour d’elles les cinq fées de The Wrong Size. Juchées sur des échasses, cintrées dans d’interminables robes-parapluie dont les couleurs changent de façon imperceptible, elles sourient, tendent la main. Et Dieu (ou qui vous voudrez) sait que c’est ce qui manque à beaucoup d’entre nous, surtout après être passé par un cours au forceps sur le thé, avoir été piétiné par 30 tonnes de ferraille qui brâme Elton John, dévalisé par des mouettes sans scrupules, ébouillanté de mille façons. Ouf, une balade muette dans le jardin des rêves menée par un groupe de sylphides fluorescentes, voilà un voyage qu’on voudrait sans fin. Un trip detox 100% naturel où la grâce est reine, ou la sérénité vous saisit malgré vous et vous fait oublier votre cornet de frites dont la mayonnaise vous glisse sur la main, comme vos soucis de rachat d’emprunt désormais glissent sur votre cerveau lavé de tout stress. Quand la technicité s’efface au profit de la beauté d’une ambiance...

Entre Terre et Ciel - Neige de Feu

Malgré le froid, malgré la pluie, le feu gagne toujours. De retour après une Balade de Feu qui a éveillé la curiosité du public, voici la compagnie Entre Terre Et Ciel pour un spectacle complet centré sur l’élément le plus fascinant et le plus dangereux que les civilisations humaines aient jamais découvert et tenté de maîtriser. Quelque chose de préhistorique, d’universel, se dégage de cette danse tribale, hautement chargée en symboles. Pas tout à fait en solo -il faut rendre grâce au musicien-bruiteur-chanteur qui finira le numéro littéralement en transe- mais seule au centre d’un cercle de feu, Lara danse les pulsions primales de l’humanité. La chaleur rassemble malgré l’effroi, et les dessins qu’elle trace en des gestes langoureux ou violents rappellent que tous les symboles ont cette même fonction : regrouper. Croix, pentacle, rosace, cercle, croissant... les tracés sont donnés en quelques respirations ponctuées par les invocations et les percussions. Vite ! Saisissons-les avant que le temps ne les prenne. Puis, après avoir créé des volcans, appelé la Terre à vomir ses entrailles à travers le bitume, la danse se recentre en cercle. A la façon d’un derviche qui braverait les limites de sa raison, la chorégraphie se meut en un tournoiement ininterrompu. Des étincelles jaillissent des flancs de la danseuse : il neige du feu, le miracle est accompli. Une alchimie élémentale véritable s’est créée ; pour surclasser la magie, en guise de rappel, jusqu’où faut-il aller ? Il faut arroser les braises fumantes d’essence pour créer une sorte de yin-yang en trois dimensions, voyons. A la frontière de la folie, le spectacle s’arrête, laissant ses interprètes pantelants et ses spectateurs transis... mais réchauffés pour des années.

Le Codfather

Dans tous les empires, Rome en tête, on se disait à raison qu’avec les jeux, il fallait du pain. Chez nos voisins Britons, le pain reste un mystère. Par conséquent, les cuistots de l’Atelier 231 se sont attelée à distribuer en deux jours 400 kgs de frites, 80 kgs de poisson, 40 l de vin chaud et 100 l de soupe de légumes. Ce qui remplace aisément n’importe quel ciabatta gallo-romain, convenons-en.

L’Affaire Foraine - Space Fish

A côté de la queue affamée qui longeait le mur jusqu’au Codfather, parrain officiel des faims tenaces et des soifs insatiables, la compagnie bretonne l’Affaire Foraine avait installé une partie de son spectacle. En détournant de façon jubilatoire l’attraction du crève-ballons, un loyal punkoïde enjoignait les curieux à « tout faire péter, parce que ça fait du bien de se prendre pour le maître du monde 5 minutes ! », désignant l’innocente baudruche bleue gorgée d’hélium qui attendait sa destruction par propulsion d’un poids, juchée en haut d’une échelle de forain de plusieurs mètres de haut. PAF ! Ça défoule.

Photos : Caroline Lelong et Sylvain Marchand

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