Waterlitz, « Austère lot »

vendredi 13 juillet 2012 , par Antoine Boyer

En mélangeant la défaite et la gloire, la victoire de l’Empire sur la Coalition des Trois et la catastrophe sur la Morne Plaine, il est évident que Générik Vapeur n’a pas l’intention de ménager qui ou quoi que ce soit. Mais plutôt de brouiller les pistes. Zapper du colossal au microscopique, de l’amibe protozoaire au voyage intersidéral, du gigantisme industriel à la tasse de thé, permet ainsi aux trublions phocéens de relativiser l’ambition et la démesure de l’entreprise humaine, ridicule dans son arrogance mais touchante jusque dans le pathétique avec lequel elle se saborde.

Vision de cauchemar d’enfant : un immense engin, silhouette peut-être héritée du Géant de Fer de Ted Hugues ou d’un Goldorak qui serait passée à la moulinette rouillée des grandes heures de l’esthétique « indus », balaye de son oeil de Goliath biblique toute la Place sottevillaise. Amusement et terreur déjà se mêlent. Deux pêcheurs, juchés à presque 20 mètres de haut, lancent leur ligne, comme du haut du dernier îlot d’humanité dans une mer de ruines. Le geste de se nourrir, quand on est seul, prend un autre sens, et retrouve son caractère magique.

Musique. Math-rock tordu, punk serpentin tout en syncopes, comme l’illustration sonore d’un possible toussotement du moteur du Juggernaut effroyable. Et l’épopée commence : un squelette de ptérodactyle survole l’assemblée. Notre arrière-grand père, rappelons-nous. Une chorégraphie exécutée littéralement en rappel sur le ventre du géant par des danseurs sortis d’une pochette de Devo, un défilé de dominos à l’effigie des dictateurs les plus sinistres, un ours blanc qui dérive. Nous ne sommes qu’un futile instant dans l’Histoire du Monde. Plus l’humanité crie, moins on l’entend : elle se coupe le souffle, creuse trop vite son cercueil. Envoie des bateaux colossaux s’échouer mollement sur des icebergs qui n’ont rien demandé. Crée les symboles qu’elle mérite, diffusés à toute allure sur le corps du Monstre qui se mue en écran de projection : Coca-Cola, les Indignés. Ce ne sont que des marques, après tout. Des drapeaux derrière lesquels l’humain se range, s’apprivoise, se colonise. Même la protestation est capitalisée. Il est donc urgent de stopper la dérive. De boire une tasse de thé, donc.

Puis, une pluie de grenouilles (la plus marrante des dix plaies d’Egypte, ça tombe bien), des textures qui font chavirer le golem gigantesque d’avant en arrière (Va-t-il s’écrouler sur nous ? Mais non, c’est un spectacle, bon sang. Euh... sûr ?), et le feu d’artifice final qui retentit au bout de ses membres enfin mués en canons à merveille.

Harassante expérience, violente et belle, succession de scènes joyeusement noires qui nous ramènent curieusement sur Terre par la peau du derrière. C’est parfois bon d’être bousculé.

Photos : S. Marchand

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